VISAVILLE

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Tu l’as vu ta ville regarde la regarde la  droit dans les yeux son nez dégoulinant de morve torrent d’immondices quand les larmes sont diluviennes dévalant les pentes de ses joues emportant la crasse accumulée par des années de labeurs de petits commerces de peines et d’écoles poubelles d’avenirs elle n’en peut plus de pleurer et pourtant l’eau qui lui coule sur les joues lui permet de reprendre son souffle un peu de fraîcheur dans ce fourbi d’objets maltraités usagés vingt fois remisés rapiécés et toujours utilisés cette eau que parfois elle lèche comme un chien n’ayant que sa bave pour se désaltérer tu ne veux pas voir mais regarde regarde ses cheveux quelques longues mèches sur un crâne dégarni c’est le fou c’est le fou qui un par un les arrache et les porte à sa bouche il n’en a que faire de ce qui lui reste sur le crâne l’apparence est l’apanage de ceux qui se regardent entre eux elle arrache ses cheveux un par un un petit picotement qui lui fait sentir la brûlure du soleil et elle les mange non par envie mais parce qu’ils repoussent et qu’ils sont preuves de vie et qu’après tout elle a encore le droit de faire ce qu’elle veut de ses boucles vertes de ses buissons bruns parce que c’est ce qui lui appartient et qu’elle les mange pour prouver aux beaux aux grands qu’ ils ne l’auront pas sur l’autel du miroir elle a cessé de se regarder depuis longtemps et toi tu as fait de même mais toi c’est parce que tu ne veux pas voir qu’elle meurt que tu la parcoures de tes doigts gras et propres elle ne cesse de te crier retourne mais retourne juste un moment vas y regarde prends le temps de scruter ses veines vrombissant de sang le sang de ta ville rouge jeune pleine de vie dans un corps vieilli trop tôt que l’ on s’ acharne  à meurtrir ce sang si tu en avais besoin elle te le donnerait sans attendre mais tu n’en veux pas trop sale pour toi ce sang sans droit de circuler librement du bas vers le haut et du haut vers le bas les artères sont bouchées par le trou de la route mal finie et la roue de la brouette de l’homme fatigué qui tombe dedans et une par une les artères se remplissent de roches de boue et de caillots de bacchanale accumulations d’obstacles d’objets qui lui barrent la route de l’illusion d’un mieux et l’abcès se développe des millions de vaisseaux proches de l’explosions des petits bouts de béton de taules de bois de corridors trop serrés purulents obscurs viens approche toi regarde les millions de petits points sur son visage qui lui couvrent du nez jusqu’ au menton des millions de destins sur pause parfois un abcès éclate et des centaines de petites gouttes de sang s’enfuient sur le linge qu’on lui tend pour s’essuyer mais certaines sèchent encore sur ses joues elles sont difficilement distinguables entre les marques du soleil qui lui tape dessus sans interruption sans protection et les cicatrices des épreuves passées dont elle ne te parle plus tout ce qui lui est passé dessus toutes les épreuves de la vie elle ne veut pas en parler car remuer le couteau aggrave la plaie qui lui fait toujours mal mais les cicatrices sont là preuve qu’on ne l’a pas tuée même si certaines sont infectées par ceux qui veulent prendre soin d’elle mais sans la regarder sans jamais la regarder ils guérissent la plaie en détournant leurs yeux vers d’autres villes plus élégantes plus modernes plus riches elle le visage entaillé eux lui portant secours lui portant secours sans jamais se laisser prendre par ses yeux elle marche encore tu sais sur ces deux pieds bien qu’un peu boiteuse. Et ses yeux tu refuses de les croiser car tu as peur tu as peur de te laisser prendre par la tristesse infinie d’un regard perdu dans de possibles semblables indifférents au nord au sud car au final qui la regarde qui lui caresse la joue qui lui donne un baiser sur le front pour la remercier de hospitalité personne les gens la quittent sans même lui dire au revoir heureux de laisser l’odeur de mort qui les lève le matin et pourtant elle ne t’a jamais refusé ses bras jamais elle ne t’a empêché de passer une nuit dans le creux de son cou susurrer tes peurs puérils  à son oreille parcourir sa nuque à la recherche d’une femme à aimer tu as passé tant de nuits avec elle sans jamais la prendre entièrement dans tes bras comme un tout tu ne la regardes que petites parties par petites parties pour ne voir que ce qui te semble le moins flétri le moins abimé des petits bouts encore épargnés mais l’ensemble te rebute tu la laisses mourir à petit feux regarde sa bouche elle bouge encore cent fois elle a tenté de te parler cracher du feu rager dans les rides de sa mâchoire ne dis pas que tu ne l’as jamais entendu crier elle a mis ses doigts au fonds sa gorge pour sortir ses tripes devant toi et ça lui faisait mal ça lui tordait l’estomac  sais  tu ce que c’est de vomir lorsqu’ on n’a pas mangé  un étouffement de bile qui annonce la fin mais tu n’as pas compris tu as cru à une lubie de folle désespérée alors elle a rejeté ses tripes devant toi et tu t’es caché tu t’es caché à la naissance de ses cheveux en haut de son front par peur que ça t’éclabousse par peur de te salir écoute les grognements les tirs les cris de ceux qui perdent leur vie à essayer de la gagner arrête de te plaindre de dire que c’est trop dur pour toi que tu ne peux rien pour elle tu as vécu dans son cou il y a bien longtemps à  l’endroit parfumé mais parfois une goutte de sueur te tombait dessus la trace de ton malaise alors tu es monté pour sentir l’air et non la crasse mais regarde la regarde son menton un bord de mer saccagée dans lequel tu ne mets plus les pieds tu ne peux le décrire que dans un souvenir d’un temps d’avant avant qu’il ne soit couvert des restes de ce qui sort de sa bouche et qu’elle ne peut essuyer car ses bras sont épuisés elle agonise tu sais et l’agonie sera longue car elle a des forces insoupçonnées tu t’ es retranché sur son front et retires les rides qui gênent ta rêverie mais fais attention son front est glissant et probablement que l’aiguille que tu lui infliges elle finira par l’arracher comme un cheveu et elle la fera doucement glisser avec la morve de son nez jusqu’ à sa bouche et elle la recrachera comme elle crachera sa haine sans réfléchir  à demain parce qu’elle n’en a que faire de demain elle veut juste que ça s’arrête et tu ne comprendras pas et personne ne te pardonnera d’avoir laissé pourrir ta ville

Hélène Mauduit


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